En avril dernier, l’Harvard Business Review a fait paraître un rapport détaillé sur l’utilisation que fait le public de l’intelligence artificielle. Alors que l’année d’avant, on trouvait la génération d’idées (brainstorm) en tête de liste, c’est dorénavant la thérapie/la camaraderie, l’amitié (therapy/companionship) qui remporte la première place. En deuxième et troisième place ? Organiser sa vie et trouver un but.
Bref, ce que je vois en clinique se transpose tout à fait dans les recherches et actions effectuées à l’aide des IA de ce monde : les gens se sentent seuls et cherchent un sens à leur vie.
Mais pourquoi aller vers l’IA pour se confier, plutôt que d’aller vers des thérapeutes ? Et, est-ce une bonne idée ? Parlons-en !
😭Les services d’aide en santé mentale sont (cruellement) manquants
Dans une lettre ouverte, publiée en 2022, Christine Grou, la présidente de l’Ordre des psychologues du Québec expliquait qu’environ 24 000 demandes par mois étaient enregistrées sur leur site web. Je n’ai pas les chiffres depuis, mais je ne m’attends pas à ce que cela soit plus bas. Surtout en ces temps incertains et anxiogènes. Je vois aussi les listes d’attente que nous avons en clinique et c’est quelque chose. Pas étonnant donc, que les gens se tournent vers ce qu’ils ont d’accessible : ChatGPT et cie.
Comme l'explique ma collègue Vanessa Destiné dans une chronique pour Urbania, pouvoir se tourner vers une entité artificielle qui ne juge pas, qui ne se fatigue pas d’écouter nos doutes et nos questions et qui démontre assez d’humanité pour nous rassurer, c’est déjà énorme quand on ne va pas bien. Le hic, c’est que ça ne peut pas se substituer à un.e thérapeute, qui, même s’iel a ses propres préjugés, est capable de responsabiliser la personne face aux défis qu’elle rencontre. C’est bien l’fun d’entendre : « N’aie plus de peine, iel ne te méritait pas. » Il reste toutefois que les difficultés relationnelles, par exemple, se vivent en interaction avec autrui. On a donc souvent une certaine part de responsabilité dans ce qui nous arrive.1
💰La thérapie, ça coûte cher
Et, croyez moi, on ne vole pas notre salaire comme thérapeute. Mais ça demeure quand même inaccessible pour énormément de gens. C’est d’ailleurs la raison qui m’a poussée à aller vers une clinique qui offre des suivis à tarifs modulés. Cela dit; oui, ce n’est pas donné. Par contre, il faut aussi changer de perspective : la thérapie ne devrait pas être vue comme une dépense. Bien sûr, concrètement, c’en est une (j’ai aussi, comme vous, un budget à gérer!), mais c’est surtout un investissement sur soi.
N’ayez crainte, je ne vire pas coach de vie, mais c’est quand même la réalité : la thérapie, c’est un moyen pour améliorer sa situation et c’est du temps que l’on investi pour travailler sur soi. Et la santé mentale, ça n’a pas de prix. Parce que, sans elle, peu de choses peuvent advenir. Est-ce que je crois que, dans un monde idéal, tout le monde devrait avoir accès à de l’aide en santé mentale gratuitement ? OUI. Mais la réalité, ce n’est pas ça.
Alors, utiliser une IA est peut-être une solution, me direz-vous? Bien sûr, ça peut le faire. Mais même si c’est gratuit ou à faible coût, il y a toutefois un coût environnemental important qui vient avec son utilisation. Et il y a aussi des limites à ce qu’une machine peut faire pour nous accompagner réellement.
🤝L’alliance thérapeutique, un élément primordial
Le lien qui se tisse entre la ou le thérapeute et sa ou son client.e est donc unique. On appelle cela l’alliance thérapeutique. Cet élément compte énormément dans la balance, lorsque vient le temps d’évaluer l’efficacité d’une thérapie. Alliance rime (réellement) avec confiance. Sans cela, pas d’espace sécuritaire, pas d’avancées possibles. Oui, on peut trouver refuge dans les bras d’un Claude ou ChatGPT et ça peut faire la job. Mais ça ne changera jamais la façon dont on approche, comme professionnel.le.s en santé, la relation thérapeutique. Dans Le Devoir, la psychologue clinicienne Nathalie Plaat écrit :
Si ce à quoi nous avons presque fait la guerre, dans les dernières années, avec nos visions professionnalisantes de tout un tas de dispositions éthiques non standardisables, devenait précisément ce qu’il nous faudrait chérir désormais, valoriser, réparer dans nos discours sur les soins ? Parce que soigner implique la faculté d’aimer, surtout, comme le dit la psychiatre Ouanessa Younsi2, il se pourrait bien que la meilleure manière de survivre, en tant qu’humain, face à l’emballement technologique actuel, soit de réapprendre à aimer, d’une manière qui est la nôtre, qui est singulière, et qui excédera toujours notre seul rôle professionnel.
Je pense que ce qui a aidé l’autre, dans ma pratique, a toujours bien moins concerné mes connaissances et mes techniques que ma capacité à aimer. Celle-ci, évidemment, provient elle-même de ma propre faille, de ce qui a été blessé en moi, de ce qui « dysfonctionne ». J’aime comme j’aurais aimé être aimée. Je soigne comme j’aurais aimé être soignée : avec entêtement, radicalité et authenticité. Et c’est ma manière à moi, qui diffère forcément de celle de mon collègue, de ma collègue, de tel médecin ou de telle psychiatre. - Nathalie Plaat
C’est exactement ça. J’aime profondément ma clientèle. Et c’est avec tout cet amour que j’ai envie de les aider, les accompagner. Et ça, pour le moment, je ne vois pas un robot conversationnel ou une IA le faire aussi bien. Parce que la capacité d’aimer est ce qui fait, entre autres, notre humanité.
🛡️La sécurité des données
Peut-on avoir une alliance thérapeutique avec un robot conversationnel ? On peut en avoir l’impression, sans aucun doute. Mais qui est derrière cette IA ? Les compagnies qui gèrent actuellement les plus importants logiciels d’intelligence artificielle, comme ChatGPT, Deepseek ou Grok, sont extrêmement avares d’informations sur la disposition et la gestion des données. Alors, à qui on se confie réellement ?
Loin d’être technophobe (au contraire, je suis souvent une early adopter ou une utilisatrice de la première heure), je crois simplement qu’on doit questionner ce que l’on fait de toutes ces données sensibles, particulièrement celles offertes dans un moment de détresse et de grande vulnérabilité. Les thérapeutes, en contrepartie, ont des règles à suivre, des codes déontologiques à respecter. Je ne dis pas qu’il n’y a jamais de failles humaines, mais il reste qu’il y a tout un cadre expressément pensé pour protéger le public. Ce que n’ont pas ces logiciels.
De plus, la relation thérapeutique est un lien extrêmement puissant. On nous remet entre les mains des informations extrêmement sensibles qui, bien souvent, n’ont été discutées avec personne d’autre. C’est un très grand pouvoir et il ne faut pas l’oublier. Et, surtout, respecter ces données qui nous ont été offertes dans un cadre sécurisé et confidentiel. Je le répète : les logiciels d’IA populaires n’ont pas ces règles à suivre.
🤷L’IA n’est pas le mal… ni une panacée
Je ne veux surtout pas diaboliser le fait d’utiliser un logiciel d’IA pour réduire sa détresse et chercher l’aide qu’on peut. Au contraire, si cela peut aider quelqu’un·e à améliorer sa santé mentale et à se sentir mieux, j’ai envie de dire: go for it! Il s’agit toutefois, comme dans n’importe quoi, de faire preuve de discernement et de jugement critique. Et, avec ce genre de technologie, ce n’est pas évident. Parce que ça va vite, que les transformations et les impacts de l’intelligence artificielle sont complexes. C’est également séduisant, une machine qui peut nous répondre sur demande, dans la seconde, et nous offrir toute l’information utile (et même superflue) dont on a besoin.
Je serais donc bien hypocrite de jeter la première pierre à celleux qui utilisent l’IA (je le fais moi-même!). Toutefois, je pense que ça soulève des questions assez importantes sur 1) les besoins criants du public en matière de santé mentale, 2) la place que peut prendre l’IA dans les soins de santé et, plus largement, dans nos vies.
Bref, il y a beaucoup à réfléchir. D’ailleurs, parlant de réflexion, j’avais en tête l’idée suivante : une infolettre mensuelle intitulée Infodouce, dans laquelle je vous envoie des trucs doux et agréables qui m’ont inspiré pendant le mois, question de contrer l’actualité anxiogène. Un peu comme ceci. Cela demeurerait dans ce même format, via cette même plateforme, mais simplement classée comme Infodouce. Ça vous dit ?
Sur ce, je vous souhaite une belle fin de mois de juin. J’espère vous revenir bientôt et de façon plus assidue!
Myriam 🙂