« J'ai mal, mais on ne me croit pas. »
Quelques livres et balados qui abordent le sexisme médical.
Avez-vous entendu parler de cette étude, parue fin 2024, dans laquelle on rapporte que les femmes ont 10% moins de chances que les hommes de recevoir une réanimation cardiorespiratoire ? Pour expliquer cette inquiétante disparité, une équipe de recherche a effectué une étude sur les différents modèles de mannequins utilisés pour apprendre les manœuvres de réanimation. Il semblerait qu’à l’échelle mondiale, 95% des mannequins sont conçus selon un modèle dit masculin1, c’est-à-dire avec une poitrine plate. Leur hypothèse ? Bien que le fait d’avoir ou non une poitrine ne change pas la méthode utilisée pour administrer le massage cardiaque, pratiquer les manœuvres sur des mannequins seulement « masculins » pourrait, par contre, contribuer à entretenir un biais sexiste qui fait hésiter les gens à agir.
Si je vous parle de cela, c’est que j’ai récemment fait des lectures et des écoutes qui m’ont donné envie de vous offrir quelques ressources à propos de ce fameux biais sexiste. Parce que la douleur, lorsqu’on est une femme ou une personne féminine, semble encore invisible à un grand nombre de professionnel·le·s de la santé.
Des bouquins qui font réfléchir
Bien sûr, ce n’est pas tout le personnel soignant qui est ainsi, mais la réalité, c’est que l’on évolue dans un système qui utilise encore le corps masculin comme modèle de base.
C’est d’ailleurs ce que met de l’avant l’autrice Valérie Bidégaré dans son ouvrage C’est dans ta tête. Pourquoi minimise-t-on la douleur des femmes ? (Québec Amérique, 2023). Elle y explique comment le corps féminin est un « impensé », voire une « sous-section » de la médecine. Cette dernière a vécu une errance médicale de plusieurs années avant d’avoir accès à des soins adéquats pour son endométriose. Elle part de son propre vécu pour aller à la recherche de réponses sur le sujet auprès de spécialistes. Elle y inclut aussi des témoignages, dont plusieurs sont réellement crève-cœurs.
Dans Gender Tech (Lux Éditeur, 2024), l’autrice Laura Tripaldi se penche sur l’évolution des différentes technologies élaborées pour prendre soin de la santé des femmes. Avec un regard féministe, elle met en lumière le fait que ces objets - spéculum, pilule contraceptive, tests de grossesse, entre autres - sont en fait des instruments de contrôle du corps des femmes.
Toutes les technologies développées autour du genre et de la sexualité entretiennent un rapport très complexe, jamais linéaire, avec les corps sur lesquels elles agissent. Ce sont des dispositifs nécessairement ambigus, car leur capacité à dicter la vérité sur le corps leur permet aussi d’exercer une forme de contrôle et de domination sur ce dernier.
Avec Habiter nos corps (Cardinal, 2023), Caroline Arbour, physiothérapeute spécialisée en santé féminine, propose une immersion toute en douceur dans son approche holistique en physiothérapie périnéale. Cependant, c’est aussi teinté d’une volonté de changer les choses, doublé d’une certaine colère envers un système qui répète aux femmes qu’elles sont brisées, alors que ce n’est pas le cas. Magnifique objet littéraire de surcroît.
Des balados pour nommer les (vraies) choses
Tout récent dans le paysage sonore, le balado Frue menstrue - auquel participe votre humble sexologue - est vraiment bien fait. Il s’écoute d’un seul trait, non seulement parce que c’est réalisé de manière très digeste, mais aussi parce qu’il est passionnant de suivre l’animatrice Émilie Fournier - qui souffre elle-même d’endométriose - dans sa quête pour comprendre pourquoi les femmes ne sont pas écoutées/entendues dans notre système médical.
La journaliste et militante britannique Caroline Criado Perez a lancé, en 2019, Invisible Women : Data Bias in a World Design For Men. Le livre a connu un succès retentissant à travers la planète. Il fait état de constats assez alarmants sur les inégalités de genre et le sexisme ambiant qui créent un monde conçu par et pour les hommes. Ce qui le rend, bien sûr, considérablement plus difficile à naviguer pour les femmes2. Elle en a tiré un balado, intitulé Visible Women, dans lequel elle se penche sur des problématiques que rencontrent les femmes dans une société qui les exclut. Du manque de masques N95 adaptés pendant la pandémie aux espaces de jeux sexistes dans les parcs, en passant par les files des toilettes interminables pour les femmes et personnes féminines; elle fait aussi enquête pour comprendre comment on peut - et doit! - faire mieux. Son livre est aussi disponible en français.
Quelques trucs pour se préparer à une visite chez le ou la médecin
J’entends très souvent des personnes dire qu’elles ont été prises de court lorsqu’elles se sont retrouvées devant un·e médecin ou un·e spécialiste de la santé. Ça peut être intimidant d’aller parler de ses soucis médicaux. D’autant plus que ceux-ci peuvent toucher non seulement des parties intimes du corps, mais aussi des pans de vie que l’on n’a pas toujours envie de dévoiler. Voici quelques idées pour se sentir plus solide et prêt·e. The Guardian offre aussi d’autres trucs fort utiles.
Se faire une liste des sujets prioritaires que l’on souhaite aborder et des questions à poser afin de pouvoir être clair·e sur ce que l’on attend et aller droit du but. Comme les rendez-vous sont souvent extrêmement courts, le plus important pourra être mis de l’avant dès le départ ;
Être accompagné·e par une personne de confiance;
Faire part de sa façon de fonctionner. Par exemple, on peut expliquer qu’on est une personne qui a besoin de poser plusieurs questions pour comprendre, évoquer son sentiment d’anxiété, nommer son TDAH, etc.);
Tenir un journal de santé. Je suis la première coupable; j’essaie depuis plusieurs années d’en garder un, sans succès. Mais, pour l’avoir utilisé à plusieurs reprises quand je réussissais à conserver une certaine routine, j’ai pu constater à quel point c’est fort utile. Non seulement ça aide le personnel soignant à comprendre l’évolution de votre santé, mais cela permet aussi de faire un suivi des rendez-vous/examens médicaux, de situer dans le temps des changements qui apparaissent et, au final, d’avoir un survol global de son historique médical.
Prendre le temps de réfléchir. Oui, le ou la médecin est un.e spécialiste. Mais vous êtes spécialiste de votre corps et personne ne le connaît comme vous. Vous avez le droit de réfléchir à ce qui vous est proposé avant de vous lancer dans un traitement ou des soins qui auront un impact - positif, on l’espère! - sur votre santé, mais qui peut aussi parfois créer des effets secondaires non négligeables ou amener un changement d’habitude important.
S’amener un bon livre. Les gens en santé doivent avoir les oreilles qui frisent à force de l’avoir entendue, mais la blague demeure vraie : quand on est un.e patient.e… il faut faire preuve de patience ! S’amener un bon bouquin pour se divertir dans la salle d’attente, ça peut aider à se changer les idées.
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Sur ce, je vous souhaite une bonne fin de mois de mars! 🙂
Myriam