7 choses que j'aurais aimé savoir avant d'être sexologue
Petits et grands constats sur un métier que j'adore.
Bon, je triche un peu. Plusieurs éléments ici m’étaient connus, mais disons que ceux-ci se sont cristallisés et confirmés avec ma pratique. Ce sont des choses qui, de prime abord, peuvent sembler banales, mais au quotidien, en relation d’aide, elles sont vraiment importantes.
Tous ces constats ont doucement transformé ma façon d’agir comme sexologue, passant d’une version plus « fraîchement sortie de l’école avec de beaux principes et de belles théories » à « plus expérimentée avec une meilleure compréhension des enjeux et, surtout, de leurs nuances ». Il y a beaucoup de choses à dire; il y aura peut-être une partie 2.
Bonne lecture! 🙂
TW : mention d’idées suicidaires et de suicide
Le cadre est ton meilleur ami
Il faut vraiment travailler au quotidien comme sexologue (ou comme thérapeute) pour réaliser à quel point le cadre est important. Bien sûr, on m’a parlé de l’importance de ce dernier dans mes études en sexologie. Mais le vivre et le maintenir au quotidien, c’est une autre paire de manches.
Le cadre, c’est le contexte professionnel dans lequel se font les rencontres de thérapie. Il doit être clair, bien délimité, sécuritaire et ferme. Ce sont des règles qui s’installent et permettent de bien faire fonctionner la relation. Parce que vous n’allez pas voir votre psy ou votre sexo comme vous arrivez chez des ami.e.s! Voici quelques exemples pratico-pratiques :
Faire payer l’entièreté de la séance à une personne qui ne s’est pas présentée au rendez-vous (je connais peu de thérapeutes qui aiment faire payer la clientèle dans ce temps-là, mais les règles sont les règles!) ;
Utiliser le « vous » et non le « tu » (cela peut maintenir une distance polie, par exemple);
Être strict.e sur les retards (ex.: s’il y a un retard de plus de 10 minutes, la séance doit être reportée);
Demander le paiement d’avance (pour le prendre une fois le service rendu).
Mais, comme nous travaillons avec des êtres humains, il est normal que des situations puissent changer et qu’on ait à être plus flexible. Cependant, il reste quand même que le cadre est PRI.MOR.DIAL. Voici d’autres exemples plus délicats :
Est-ce que j’aide réellement la personne si je ne lui nomme jamais qu’elle est constamment en retard, car je sais que son horaire est ultra chargé? Probablement pas; il faut faire comprendre à cette dernière que mon temps et le sien sont précieux. Aussi bien être à l’heure et en profiter!
Si j’accepte une annulation de dernière minute sans faire payer, est-ce que je crée un précédent pour les prochaines fois ? Il y a des chances que oui, à moins d’une entente spécifique avec la personne.
Le dévoilement de soi peut être super utile, mais avec parcimonie et tant qu’il est justifié. Si je passe mes rencontres à évoquer ma vie intime et mes propres expériences, je mets la personne qui consulte - ainsi que moi-même - dans une position délicate où l’on ne sait plus faire la différence, par exemple, entre thérapeute et confident.e.
En somme, je sais que le cadre est mon allié, mais je suis humaine : j’apprends encore tous les jours à le solidifier. Baby steps, comme on dit. Si votre thérapeute vous semble strict.e sur certains éléments, dites-vous que c’est pour le bien de tous.tes.
L’entraide est primordiale
Lors de mes études, on nous a souvent parlé de nos collègues et surtout du fait qu’on aurait peut-être à travailler ensemble, éventuellement, dans certains milieux. Mais au-delà de ce constat, j’aurais aimé qu’on me dise à quel point il est primordial (sinon vital!) d’être bien entouré.e, professionnellement parlant. C’est la raison pour laquelle j’ai été en clinique; je voulais collaborer, échanger, apprendre de mes collègues, réfléchir à plusieurs sur certains enjeux et défis thérapeutiques. Et je suis persuadée que cela fait de moi une meilleure sexologue.
Je suis sortie de l’école en ayant l’impression que je devais tout savoir, mais… c’est impossible! Et ça fait aussi partie des enjeux du métier; se confronter à des situations et des cas qui nous sortent de notre zone de confort. Mais quand cela arrive et qu’on sait qu’on a un extraordinaire filet autour, ça change la vie. Et ça fait en sorte que, comme clientèle, les gens ont accès à un système pour les soutenir. Ceci est bon aussi pour les personnes qui pratiquent en solo; je pense qu’il est plus qu’important d’avoir un entourage allumé et aidant pour s’épauler et se sentir moins seul.e. On fait des métiers du care, ce serait bête de ne pas s’en offrir entre nous!
L’importance d’avoir des projets personnels
Le boulot ne peut pas prendre toute la place, encore moins quand c’est un métier qui exige écoute et support moral au quotidien. Mais ça, c’est bon pour nous comme thérapeutes, mais aussi pour tout le monde. Je parle de ceci, parce que je réalise à quel point on valorise tout ce qui a un potentiel de rentabilité et de productivité, mais on encourage assez peu ce qui est fait simplement par plaisir, de façon totalement gratuite. Tout ne peut être utilitaire, calculable, « instagrammable ». On parle à qui mieux mieux du self-care, mais on est beaucoup plus dans une injonction de performance que dans un réel soin de soi.
Prendre soin de soi, c’est aussi réussir à prendre un pas de recul face à son travail et ne pas se définir seulement par celui-ci. Je vois tellement souvent des personnes qui se donnent corps et âme dans le boulot, quitte à s’y oublier complètement. (J’ai déjà été cette personne!) C’est primordial de sortir la tête de l’eau et réussir à s’offrir du temps de repos, de vide, d’espace à soi. Encore faut-il que ce soit possible; mettre de l’avant son bien-être n’est pas nécessairement accessible à tous.tes, loin de là.
À ce sujet, l’essai Politiser le bien-être de Camille Teste (Binge Éditions, 2023) explique extrêmement bien comment cette tendance au self-care est pernicieuse, mais surtout extrêmement politique, car elles sont « coûteuses et normatives » et s’adressent à des personnes blanches, aisées, sans handicap, etc. Mais ce que j’aime surtout de cet ouvrage, c’est les solutions et les réflexions sur ce qui peut être fait pour changer les choses.
« Les pratiques de bien-être, dans leur acceptation révolutionnaire, doivent nous aider à nous soustraire aux injonctions, aux dominations et à leurs effets; elles doivent favoriser notre autonomie et notre esprit critique; elles doivent, enfin, tout simplement nous permettre de jouir de nos corps. - Politiser le bien-être, p. 87
Beaucoup plus de gens qu’on pense ont (déjà eu) envie de mourir
C’est la question toujours un peu délicate dans l’évaluation sexologique, mais elle ne peut être mise de côté : la personne a-t-elle des idées suicidaires? Y’a-t-il des risques qu’elle s’enlève la vie? A-t-elle un plan? C’est souvent en creusant un peu plus profondément, en avançant dans la relation thérapeutique que les gens vont se dévoiler plus à ce sujet. Il demeure que de nombreuses personnes songent ou ont déjà songé à s’enlever la vie. Je sais bien que la santé mentale des gens n’est pas à son meilleur, et ce, depuis un bon moment. Mais j’ai tout de même été tristement surprise de voir à quel point c’est énoncé fréquemment, avec une pointe de résignation.
De là l’importance d’en parler et de discuter ouvertement de santé mentale. J’en profite d’ailleurs pour dire que ce dimanche 4 février débute la Semaine de prévention du suicide. Pour vrai, je le répète : parlons-en, car c’est vraiment nécessaire.
Je ne saurais d’ailleurs trop vous recommander le tout nouveau projet de Lauren Bastide, celle derrière l’époustouflant balado La Poudre. Dans Folie douce, nouveau balado, elle parle de féminisme, bien sûr, mais avant tout de santé mentale. Son tout premier épisode avec l’autrice Chloé Delaume est fabuleux et aborde, entre autres, la maladie mentale et le suicide.
La relation d’aide en sexologie n’est majoritairement pas couverte par les assurances
J’ai été franchement estomaquée que personne n’ait pris la peine de nous informer à ce sujet et de découvrir que bien des gens ne peuvent se payer ces services, car ils ne sont pas encore reconnus par les assurances. Les services de psychothérapie, oui. Mais la relation d’aide, c’est très rare. Cependant, c’est déductible d’impôts. Il demeure toutefois que la personne doit quand même avoir les sous pour les payer. Et ce n’est vraiment pas le cas de tous.tes. Sachant cela, j’ai été encore plus heureuse d’avoir joint une clinique qui propose des tarifs réduits pour faciliter l’accès aux services en sexologie.
D’ailleurs, si vous avez besoin de soins à tarifs modulés en psychothérapie, voici une liste de ressources disponibles.
La relation d’aide est un domaine d’intervention beaucoup plus vaste qu’on ne le croit
De nombreuses personnes pensent encore que les sexologues ne se penchent que sur l’anorgasmie (absence d’orgasme), les problèmes de couple, les problèmes érectiles et les pannes de désir. Ce n’est qu’une infime partie de ce qui peut être discuté dans nos bureaux. J’ai moi-même constaté qu’il était possible d’intervenir sur un spectre vachement plus large que ce qui m’apparaissait d’abord possible. C’est probablement pour ça qu’en toute honnêteté, je ne pensais pas faire de relation d’aide au départ.
J’entendais surtout parler de problématiques de couple, et même s’il y a des enjeux hyper intéressants à aborder dans ce contexte, ça me semblait bien restreint. Jusqu’à un formidable stage dans un cégep avec une sexologue extrêmement généreuse et qui m’a fait confiance pour pouvoir me lancer réellement et découvrir qu’en fait… j’adorais ça! Cela m’a fait réaliser à quel point des tas d’éléments de notre existence sont liés à notre sexualité. Le travail, la famille, les amitiés, le rapport au corps, le fonctionnement social, etc. Tout est dans tout, comme on dit!
Et si vous doutez de ce vous pouvez aborder dans une rencontre avec un.e thérapeute, faites-lui confiance; iel vous le dira.
Le succès de la thérapie repose en majorité sur le lien développé entre client.e et thérapeute
Je sais, cela peut avoir l’air extrêmement obvious. Mais on en prend toute la mesure quand se développent des relations de confiance et de proximité avec sa clientèle. On accumule tous les petits détails de vie des gens, on les connaît de mieux en mieux, on est investi dans leur vie et - même si différemment - eux dans la nôtre. C’est un lien vraiment particulier qui se tisse. Il repose évidemment sur des compétences en intervention et des connaissances en sexologie, mais avant tout sur cette relation unique qui permet des échanges fructueux et des changements possibles.
J’ajouterais que c’est une chance inouïe d’avoir accès à cette vulnérabilité - vulnérabilité qui, dans plus d’un cas, n’a jamais été dévoilée à personne - et aux émotions profondes qui sont parfois atteintes en rencontre. C’est précieux et je m’efforce de ne jamais oublier ce privilège de pouvoir accompagner les gens dans ces espaces intimes.
Sur ce, j’achève la lecture de quelques ouvrages qui traitent de masculinité et je pense revenir bientôt avec une petite analyse de tout cela.
À bientôt!
Myriam